Le Grand-Orgue de Notre Dame de la Treille
Quelques dates et chiffres
Construction : 1960 (studio 104/Maison de la radio/Paris)
Facteur d’orgues : Dagnon-Gonzalès
Relevage sur 3 ans par Dargassies
Démontage/reconstruction
par la manufacture Klaïs en 2007/08 (Notre Dame de la Treille/Lille)
106 jeux
4 claviers/pédalier
7600 tuyaux
L’instrument pèse 41 tonnes
1 million de pièces et composants
Démontage
35 personnes pendant 2 semaines en juin 2007
2 semi-remorques nécessaires pour le transport :
1 pour A/R Paris/Lille
1 pour transport A/R ateliers Klaïs (Bonn)/Lille
1 petit camion pour circuler dans le vieux Lille
Remontage
15 personnes du 13 juillet 2007 au 1er avril 2008
Activité/an
60 Messes et cérémonies (Fêtes carillonnées, ordinations…)
15 concerts
50 auditions d’orgue
Cours d’orgue, master-classes, auditions d’élèves
Grand-Orgue de Notre Dame de la Treille
L’incroyable destin d’un orgue hors du commun
Lorsqu’on contemple aujourd’hui le Grand-Orgue de Notre Dame de la Treille, qui s’élève majestueusement jusqu’à toucher les voûtes, on ne peut deviner l’aventure extraordinaire qu’a représenté son installation…
I - Naissance d’un projet grandiose
Courant 2006, André Dubois, organiste titulaire de la cathédrale Notre Dame de la Treille à Lille, apprend que le grand-orgue du studio 104/salle Olivier Messiaen de la maison de la radio à Paris est mis en vente, suite à l’ouverture du chantier de rénovation du bâtiment (datant des années 60) qui durera jusqu’en 2013.
André Dubois, qui dispose depuis sa nomination au poste de titulaire de la cathédrale en 1984, d’un orgue Cavaillé-Coll (1864 – 19 jeux), déplore que la cathédrale (achevée en 1999) ne soit pas dotée d’un véritable grand-orgue, digne d’elle et de son imposant volume. Conscient de l’urgence et de l’incroyable – bien que démesurée – opportunité, il réunit autour de lui des passionnés, des mécènes et des donateurs, et crée, avec Yves Caroni, l’association “Un Grand-Orgue pour Notre Dame de la Treille”, laquelle se porte officiellement, auprès de Radio France, acquéreur de l’orgue du studio 104.
Historique de l’instrument
Construit vers 1960 par la manufacture d’orgues “Dagnon-Gonzalès”, c’est un instrument néo-classique de 106 jeux (console 4 claviers/pédalier), comprenant 7600 tuyaux. Il sera modifié par la suite par la manufacture Dargassies. Gaston Litaize (organiste titulaire de Saint-François Xavier/Paris, concertiste, compositeur et professeur - www.gastonlitaize.com) était le rapporteur officiel du projet.
Ce projet, en phase avec la politique de l’époque qui, à travers de grandes réalisations d’excellence, telles le paquebot France, le Concorde, voulait favoriser le rayonnement international de la France.
L’orgue du studio 104/salle Olivier Messiaen, était le quatrième plus grand instrument de France, après Notre Dame de Paris, Saint Sulpice, Saint Eustache.
Il est devenu le premier plus grand instrument en région.
Radio France, en la personne de son secrétaire général Patrice Cavelier, considérait avec raison l’orgue du studio 104 comme étant une pièce maîtresse du patrimoine musical français, et ne voulait pas le céder n’importe comment ni à n’importe qui.
La délicate question du financement
Monseigneur Defois, ancien archevêque de Lille, avait donné son accord pour l’achat de l’instrument par l’association, puis son installation dans la cathédrale. Cette courageuse décision imposait un véritable chantier à l’intérieur de la cathédrale durant 10 mois et condamnait le transept droit pour la même durée.
Restait à régler la question cruciale du financement de l’opération, à savoir le démontage, le transport, la configuration de l’instrument, le construction de la structure d’accueil ainsi que les transformations et réparations impératives.
L’association a su mobiliser les bonnes volontés, grâce à l’enthousiasme de son président, André Dubois, dont l’inépuisable énergie a fait s’ouvrir les portes des mécènes : le Conseil régional représenté par son président Daniel Percheron, des entreprises privées, un grand nombre de donateurs privés, qui ont donné des fonds pour le financement du projet. La souscription est toujours ouverte, le financement n’ayant été couvert qu’à 75%.
Cependant, le plus difficile était à venir, le démontage du studio 104, le transport puis la reconstruction en Notre Dame de la treille à Lille.
II – Un vaisseau amiral en pièces détachées, de Paris à Lille
L’équipage
Vu la taille gigantesque de l’instrument, c’est assez naturellement que le choix d’une entreprise suffisamment importante pour être capable d’effectuer cet important chantier, en respectant toutes les clauses contractuelles et contraintes techniques, s’est porté sur la manufacture Klaïs à Bonn (Allemagne).
Facteurs d’orgue depuis 1882, Philippe Klaïs (4ème génération) est le PDG de la manufacture, spécialiste des très grands instruments et des chantiers difficiles : à titre d’exemple, la cathédrale de Cologne abrite 2 instruments Klaïs, une console de 91 jeux et une autre en nid d’hirondelle de 53 jeux, qui sont reliés et jouables simultanément depuis la console de l'instrument principal. La manufacture a construit et installé de très grands instruments partout en Europe, au Japon, en Russie, en Australie, en Chine etc. (www.klais.de).
Le démontage
La logistique nécessaire au démontage et au déménagement de l’orgue du studio 103 en 2 semaines (délai imposé contractuellement par Radio France) a mobilisé 35 personnes à plein temps. L’équipe a démonté l’instrument pièce par pièce, à la main bien entendu : chaque pièce, élément, tuyaux a été répertorié, marqué puis emballé. Toutes les parties mécaniques, les sommiers, les alimentations électriques ont été contrôlées en vue d’être révisées ou réparées si nécessaire.
Conception de la structure de réinstallation
La firme Klaïs, grâce à son bureau d’études intégré et à son architecte Stephan Hilgendorf, a réalisé la conception de la structure destinée à accueillir le grand-orgue, entièrement reconfiguré : passant d’une disposition à l’horizontale (posé au sol) dans le studio 104, à Notre Dame de la Treille, où les quatre parties de l’orgue, positif – grand-orgue – récit – solo, sont réparties sur une hauteur de 20 m, le solo culminant à 30 m sous les voûtes.
En fait les 41 tonnes de l’instrument reposeront sur quatre poutres “posées” au-dessus du transept. C’est l’entreprise CIAN qui a construit et installé ce système de “suspension”, sous la supervision du bureau d’études Klaïs. Le système d’échafaudages permettant la reconstruction est resté en place durant 10 mois.
Le transport de l’orgue : 2 destinations, 1 lieu d’installation
La cathédrale située dans le vieux Lille, n’est pas accessible à un gros camion, c’est dont un petit camion qui allait à la rencontre du semi-remorque sur un parking de la région lilloise où avait lieu l’échange de contenu, qui effectuait ensuite la livraison au pied de la cathédrale. Pendant ce temps, un autre semi-remorque effectuait des allers-retours entre Lille et Bonn, chez Klaïs, afin de procéder aux réparations, débosselage, re-calibrage, soudure et réparation de soudures des tuyaux abîmés, nettoyage, réparations diverses… En attendant l’achèvement de la construction de la nouvelle structure, toutes les parties de l’orgue ont été stockées dans le transept droit de la cathédrale de Lille, fermé au public.
Un autre impératif était que la cathédrale reste ouverte au public, sans interruption du culte et de ses activités bien évidemment.
La reconstruction
Sur place, dans le transept droit transformé en atelier, les menuisiers ont procédé à la révision et réparation complète de tous les tuyaux de bois, puis à leur mise en peinture (gris clair). De même il fut procédé au remplacement des matériaux qui avaient souffert du changement d’atmosphère entre le studio 104 (à température constante) et la cathédrale (soumise elle à l'humidité et aux fortes variations de température). Pendant ce temps une autre équipe construisait le “squelette” de l’orgue : les différents niveaux de l’orgue, les porte-vents, préparation des postages etc. L’électronique et l’informatique ont été faites à neuf, aux normes actuelles, de même l’électrification qui a nécessité l’emploi de 20 km de câble électrique. L’électronique de la console a été entièrement repensée pour permettre le contrôle des jeux sans délai de réponse dû à la distance : en effet, la console est au sol, c’est un câble en fibre optique qui transmet les ordres à tous les relais informatiques et aux contacteurs placés dans la structure 20 m plus haut.
L’installation achevée de tous les éléments mécaniques, de tous les composants électriques et électroniques, on a procédé à la pose des tuyaux.
Le responsable des chantiers, Thomas van Heyman (Klaïs), a supervisé et coordonné les étapes de démontage-transport-construction-remontage.
Les équipes, qui ont commencé le chantier en été par des températures assez élevées, ont terminé en hiver, travaillant courageusement sous des températures de 3° ou 4°, la cathédrale n’étant pas chauffée en dehors des offices. La construction a donc duré de juillet à novembre 2007.
III – Renaissance du Grand-Orgue
Premier son
Décembre 2007 a été une étape particulière et joyeuse : le premier son, qui est l’occasion d’une véritable fête pour les facteurs d’orgue allemands, il ne reste ensuite plus qu’une étape, mais non la moindre, l’harmonisation.
Les autres équipes ayant terminé leur travail, reviendront pour l’inauguration.
Ce premier son, c’est André Dubois qui a eu la chance et l’honneur de le jouer, de “faire parler” le grand-orgue pour la première fois, en présence de Monseigneur Defois, des facteurs d’orgue et de la presse invitée pour l’occasion, pour laquelle le grand-orgue devenait une réalité.
Harmonisation
Étape cruciale de cette renaissance, parce qu’elle va lui donner sa couleur, l’adapter à l’acoustique de la cathédrale, bref lui donner son identité sonore, et bien sûr il a fallu accorder les 7600 tuyaux… Ce travail, qui a duré quatre mois, a été effectué par Franck Rittirath (Klaïs).
La difficulté de l’harmonisation dans cette cathédrale, est due à la hauteur de l’instrument, puisque 20 m séparent le solo du positif, les variations de température et d’hygrométrie jouant également, bien qu’elles se produisent de manière égale et progressive, sans générer de déséquilibre entre les différents plans sonores de l’orgue.
Réception du Grand-Orgue et mise en service
Le 1er avril 2008, a marqué le grand jour de sa renaissance : c’est le jour où l’orgue a été officiellement présenté à des organistes dont maître Jean Guillou, André Dubois etc. qui l’ont joué, en présence de l’harmoniste, où ils ont essayé toutes les combinaisons de registres. Il faut savoir que Jean Guillou n’avait pas aimé l’instrument lorsqu’il était dans le studio 104 : celui-ci n’avait aucune ampleur sonore, uniquement destiné à l’enregistrement, il avait, pour les auditeurs, un son étouffé. Lorsque maître Guillou a joué pour la première fois le Grand-Orgue de Notre Dame de la Treille, il ne pouvait plus s’arrêter, et ses commentaires ont été les suivants : « c’est une métamorphose, c’est devenu un Stradivarius, grâce à Klaïs et à sa construction dans la cathédrale, c’est une révélation, un nouvel instrument !! ».
La Bénédiction
Le Grand-Orgue a été béni par Monseigneur Ulrich, nouvel archevêque de Lille, selon le rituel, c'est la tradition dans l’église catholique romaine de bénir un instrument qui occupe une place de choix dans l’accompagnement de la liturgie, confirmée par Vatican II, cet orgue entrant pour la première fois dans sa cathédrale, après une première vie d’orgue de concert...
Étaient présents, Monseigneur Vilnet, évêque émérite de Lille, qui avait chargé son organiste d'étudier la mise en place d'un grand-orgue, Monseigneur Gérard Defois, archevêque de Lille, qui a pérennisé le projet, Monseigneur Delannoy évêque auxiliaire, actuellement évêque de Saint Denis. Ont assisté également avec enthousiasme monsieur Daniel Percheron, président du conseil régional , monsieur Sébastien Huyghe, député de Lille, monsieur Yvan Renar, sénateur de Lille, président de l'ONL, vice-président de la commission culturelle du Sénat. Sont également venus les représentants de Radio France, Patrice Cavelier, secrétaire général ainsi que les directeurs et responsables d'antennes. Les autorités locales étaient largement représentées et une assistance plus que nombreuse venue de toutes les régions entendre le Grand-Orgue. Tous ont chaleureusement salué et accueilli celui qui est devenu le fleuron de l’orgue dans le nord de la France. Car il est évident que la présence vivante d’un tel instrument à Lille, permet un rayonnement régional, national et international, de par la diversité des intervenants à l’origine de l’installation de Grand-Orgue à Notre Dame de la Treille, par la renommée internationale des artistes qui viennent jouer sur cet instrument réinventé, dont la notoriété est également grandissante bien au-delà de nos frontières.
L’inauguration
Elle a eu lieu les 7 et 8 juin 2008, au cours de 2 concerts officiels donnés par des artistes de premier plan : le 7, le Dr Winfried Bönig, organiste titulaire de la cathédrale de Cologne, a joué un programme dans la plus grande tradition de l’école d’orgue allemande, inscrivant au départ la toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach….
Le 8, c’est maître Jean Guillou qui a interprété un programme éblouissant, à la fois classique et plus contemporain, comprenant des œuvres symphoniques transcrites pour orgue par ses soins, telles “Tableaux d’une exposition” de Moussorgski ou “Casse-Noisettes” de Tchaïkowski.
A l’issue de son récital, chaque organiste a improvisé magistralement, le Dr Bönig, sur l’air du “p’tit Quinquin”, maître Guillou sur une mélodie traditionnelle coréenne.
La première saison de concerts a reçu, entre autre, Daniel Roth, organiste titulaire de Saint-Sulpice à Paris et concertiste, qui a fait sonner l'instrument à la manière symphonique, jouant César Franck, Vierne... La maîtrise de Radio France est venue retrouver son grand instrument.
Le présent du Grand-Orgue et son devenir
L’association “un Grand-Orgue pour Notre Dame de la Treille”, propriétaire de l’instrument, a organisé le festival “le Grand-Orgue dans tous ses états”, fin septembre 2012. Il a été proposé une programmation surprenante et variée pendant 10 jours, mettant en lumière les différentes facettes de l’instrument, que ce soit sous forme de récital, d’accompagnement de chœurs… Entre autre, un film “le Fantôme de l’opéra”, a été projeté sur un grand écran dans la cathédrale, et l’organiste Michel Berger a improvisé en direct l’intégralité de la musique pour ce film muet.
Louis Robillard, concertiste et professeur réputé a été invité pour donner un récital. Chaque jour, durant le festival, a eu lieu une audition publique d’orgue, donnée par les organistes de la cathédrale, quelques élèves d’André Dubois, de jeunes organistes invités…
Le Grand-Orgue accompagne majestueusement tout au long de l’année la liturgie ordinaire et extraordinaire célébrée dans la cathédrale. L’orgue est joué par André Dubois, assisté de Hugues Huddlestone depuis 2007, et de Ghislain Leroy depuis 2011.
Les cours supérieurs d'orgue de Polyphonia Académie sont donnés sur cet instrument. Les classes d'orgue de Puteaux de maître Philippe Sauvage, ont donné par deux fois leur audition de fin d'année sur le grand-orgue. « Il est rare de pouvoir jouer sur un instrument de cette qualité. Philippe Sauvage ».
Serge Médot,
Secrétaire de l’association “un Grand-Orgue pour Notre Dame de la Treille”
DVD du reportage complet sur démontage la reconstruction du Grand-Orgue en vente sur le site : www.grandorgue.com – réalisation et montage Christophe Dubois – crédits photos Christophe Dubois